L'ACCOMPAGNEMENT DU VIEUX CHIEN

Farwest a 13 ans et demi quand j’écris ces lignes.

Si les balades sont de plus en plus courtes, ses phases de sommeil sont de plus en plus longues.

Si les séances de jeux sont de plus en plus brèves et espacées, les moments de câlins sont de plus en plus fréquents.

Si les interactions avec ses frères et sœurs de vie se font rares, elles existent tout de même et celle-ci montre de l’enthousiasme de les revoir au retour de leur balade qu’elle n’a pu effectuer. Les autres lui font la fête mais furtivement comme pour ne pas la déranger.

Si une balade collective a lieu, elle vient saluer tous ces vieux copains copines par courtoisie avant de rentrer à la maison.

Même si les forces physiques diminuent, les besoins restent les mêmes.

Pour accompagner un vieux chien, il faut y être attentif, savoir observer ses besoins au moment présent pour y répondre intelligemment.

Intelligemment signifie que vous connaissez assez bien votre chien car partagez sa vie généralement depuis plus de 10 ans. Vous aurez donc remarqué que ses besoins peuvent varier du jour au lendemain. Un jour elle préfère consommer la journée dans le canapé en se moquant de la balade de ses complices (je vis avec quatre loulous). Un autre jour, elle voudra absolument participer à la sortie malgré l’arthrose bien installée qui la fait boiter douloureusement. Les besoins d’aller s’enivrer d’odeurs sont tout puissants. A moins que ce ne soit le désir de vouloir nous accompagner et être présente parmi nous avec un air de dire : « j’existe encore et je veux participer aux activités ». A ce moment-là, je prends la voiture pour les emmener dans les bois afin d’économiser ses forces. Une fois sur place, parfois elle préférera rester dans la voiture. Je comprends alors qu’elle voulait juste notre compagnie. D’autres fois elle nous accompagnera une trentaine de mètres puis se couchera sur le sentier. Je m’éloigne avec les autres chiens faire notre promenade et elle nous attendra patiemment en humectant les odeurs de son environnement proche, puis nous fera la fête à notre retour. Oh, elle ne nous sautera pas dessus comme un cabri. Elle restera couchée mais je vous jure que sa queue n’a rien perdu de sa fougue pour exprimer ses sentiments. Des sentiments de reconnaissance pour lui avoir permis encore une fois de relever des odeurs autres que celle du familier canapé.

J’avais investi dans une remorque de vélo qui peut se transformer en poussette. Mais je l’utilise peu car en campagne, les sentiers ne sont pas pratiques pour ce type de locomotion. Cependant je risque de l’utiliser plus souvent sur route dans les jours qui viennent car les difficultés sont croissantes.

Farwest a beaucoup d’arthrose à ses coudes sur ses antérieurs, elle transfère donc son poids vers les postérieurs. Elle n’a pas d’arthrose aux hanches mais ces lombaires elles, sont gravement atteintes depuis longtemps. Des becs de perroquet y sont présents et les vertèbres de cette région sont aujourd’hui pratiquement soudées. Elle a donc une démarche un peu chaloupée et titube à la « Gainsbarg en fin de soirée ». Elle ne peut plus aujourd’hui utiliser les rampes d’accès à la voiture ou au canapé car risquerait de chuter facilement. Aujourd’hui je la porte autant qu’il est nécessaire.

Farwest a également développé un fibrome à la fesse qui a été retiré à deux reprises. Une troisième opération a eu lieu récemment pour enlever des métastases apparues dans la même région sous la peau. D’autres sont également présentes en bas de l’abdomen ne touchant aucun organe vital. La cancérologue ne tentera pas de les enlever car trop de risques d’effets secondaires ou de complications. Il a été choisi un traitement pour freiner ce type de cancer qui n’est pas très évolutif pour lui donner un peu de répit quant à ses dernières années de vie.

Je compte arrêter les injections d’anticorps monoclonaux (anti-douleur arthrosique) qu’elle a depuis deux ans car je ne vois plus d’effets aujourd’hui. Peut-être les remplacer par du CBD et/ou des anti-douleurs.

La concernant, les frais pour les soins et le suivi des traitements aujourd’hui sont assez importants. Je vous conseille de souscrire une assurance qui prendra en charge tout ce qui est maladie et chirurgie. Avec une souscription de 20 à 30 euros mensuel, la couverture est déjà conséquente. Alors que le jeune chien n’a pas souvent besoin de mutuelle, dès que les soucis de santé apparaitront à un certain âge, vous ne regretterez pas d’y avoir cotisé.

Farwest est également sourde à présent. Du moins certains jours. Je la soupçonne comme certaines personnes âgées, de ne pas entendre uniquement quand ça l’arrange.

Farwest ! descend du canapé ! => pas de réponse.

Farwest ! on va manger ? => elle lève les yeux, la tête, le corps, puis se dirige vers le lieu de prise de nourriture en titubant mais en trouvant un équilibre précaire grâce à sa queue joyeuse.

Farwest ! on va promener ? => pas de réponse…

Farwest ! Je vais te brosser ? (elle a toujours adoré) => plus de réponse…

Certains jours, ce n’est plus du cinéma. Quand nous rentrons de balade avec ses copains, elle ne se réveille pas, ne nous entend pas ni par ses sens auditifs, ni olfactifs… Son sommeil parait si profond dans sa bulle de silence que je pense malgré moi au pire. Je ne peux me retenir de la caresser pour me rassurer qu’elle soit toujours parmi nous.

Nous avons donc mis en place un nouveau langage. Oh, il est simple. Observez-vous quand vous demandez quelque chose à votre chien. Souvent le vocabulaire utilisé est toujours employé avec un gestuel. Nous sommes des latins et nous nous exprimons avec les mains très facilement. « Viens ! » je n’ai nul besoin de vous faire un dessin sur le gestuel qui vient l’accompagner. « Attend ! » même chose. Ayez un peu d’imagination pour le reste et vous verrez que c’est très facile.

Certains inconvénients viendront tout de même se greffer sur la surdité. Prenez garde de ne pas la caresser en la surprenant. Elle sursauterait. Soyez doux et attentif et sachez la réveiller si besoin avec tact. Restez en visuel pour les rappels. Inutile de gesticuler dans son dos malgré ses 250 degrés de champ visuel. Soyez vigilants lors de balades en libre où vous la perdez de vue. Elle, ne sera point stressée car focalisée sur des odeurs intéressantes. Mais vous risqueriez de monter dans les tours au niveau stress. Ne vous infligez pas ce genre de tension et sachez anticiper les situations.

Parfois elle m’accompagne en séminaire. Elle adore plus que tout les heures de trajet en voiture. Seulement en salle avec beaucoup de monde, elle peut montrer aujourd’hui du stress et aboie régulièrement pour chercher mon attention. Une chose qu’elle n’a jamais faite auparavant. Si elle adore m’accompagner, je dois tenir compte de ces nouvelles données, pas toujours facile à accepter : toutes les situations ne sont plus aussi agréables pour elle aujourd’hui.

Parfois, je la surprends s’immobiliser en fixant l’horizon dans le jardin. Je me penche vers elle et je découvre que son regard ne fixe rien. Un moment d’absence. En bougeant ma main devant ses yeux, elle n’a pas de réaction. Alors je la caresse et elle semble surprise de me découvrir à ses côtés. Sa queue tel un métronome, me donne alors le tempo « allegro » de son bonheur présent. Il s’agit de démence canine ou plus précisément de dysfonctionnement cognitif canin (DCC). Beaucoup de chiens de plus de 10 ans sont touchés (50%). C’est une maladie progressive avec l’âge. Le cerveau vieillit comme le reste mais parait dégénérer plus rapidement chez certains chiens.

D’autres inconvénients sont immanquablement liés au chien senior. Les balades étant réduites, les griffes ne vont plus s’user naturellement et il sera conseillé de les couper de temps en temps. Pour ma part, j’utilise un dremel (ponceuse électrique) qui me permet de limer de quelques millimètres ses griffes. Aucun risque de toucher le nerf et c’est moins contraignant pour l’animal. De plus, en le faisant régulièrement, le chien s’habitue et le nerf se rétracte progressivement au fur et à mesure que l’on réduira la longueur des griffes. Il est évidemment conseillé de faire ce genre de manipulation avec sa coopération. Rapprochez-vous d’un professionnel pour en savoir plus sur les soins coopératifs.

Les oreilles de Farwest produisent beaucoup de cérumen. Le nettoyage doit se faire fréquemment. Seulement à son âge, son ébrouement n’est plus assez énergique pour évacuer les produits nettoyants injectés dans ses conduits auditifs. Les oreilles tombantes du labrador n’aidant pas le travail, je procède à un nettoyage externe avec un tissu doux imbibé d’huile de calendula. Cette huile est très douce et évite les irritations causées par des nettoyages fréquents.

Il faut prendre en considération que lorsque nous vieillissons, toutes les cellules que composent l’organisme vieillissent. Certains muscles se relâchent et peuvent provoquer de la gêne plus que d’autres. C’est le cas des sphincters. Ces petits muscles se contractent pour nous empêcher d’uriner dès que nous en avons envie. Si ces muscles perdent de leur efficacité, il est plus compliqué de maîtriser ses envies naturelles. Nous avons alors des accidents répétés. Encore une fois, je peux anticiper ses situations si j’ai pris le temps d’observer à quel moment de la journée mon chien va se trouver en situation inconfortable. Après les prises de repas, les temps de repos allongés, je lui propose de sortir.

En plus de la visite annuelle chez votre vétérinaire, une visite régulière chez un ostéopathe peut également s’avérer être de bon augure. Toute boiterie résultant de courbatures, muscles froissés, articulations douloureuses ou tout autre souci de santé peut être apaisée par des mains expertes.

Le chien d’un certain âge peut montrer de l’inconfort plus rapidement devant des situations anxiogènes. Il a besoin de plus de repos et de calme. Des enfants bruyants ou de jeunes chiens dynamiques dans son environnement peuvent l’amener à avoir des comportements inadaptés. Anticipez ces situations pour le bien-être de tout le monde.

Savoir vivre avec un vieux chien c’est savoir s’adapter à ses besoins. Il n’y a pas de méthode, mais juste la nécessité de s’ajuster en sachant observer. Les balades d’une heure vont être réduites à une demi-heure, puis seulement au tour du pâté de maisons, au demi-pâté de maisons, pour enfin s’apercevoir que la distance de la maison à la boite aux lettres s’est transformée en un sacré marathon. Elle vient souvent en déplacement en voiture avec moi. C’est une autre prise d’odeurs qui ne la fait pas souffrir. Sans aucun doute, être en ma présence la comble suffisamment. Ainsi, de nouvelles odeurs extérieures s’offrent à elle sans les douleurs articulaires.

Le chien montre également plus d’attachement en prenant de l’âge. Cherche-t-il la sécurité ? le réconfort ? L’attention ? A moins que nous soyons face à une certaine conscience que ces moments lui paraissent de grande valeur en fin de vie ? Je n’ai pas la réponse mais il est certain que le comportement évolue. Profitons de ces moments pour des séances de massage qui sauront lui procurer du plaisir. Le partage de grosses siestes ensemble dans le canapé constitue des instants privilégiés.

Son état est en perpétuel changement. Sa vivacité et sa santé sont en déclin, le temps commence à lui être précieux.

Cependant nous vivons parfois des jours où Farwest a un regain d’énergie. Quand les autres loulous partent en balade, elle a la force de se lever du canapé pour me dire qu’elle veut faire partie du voyage même si elle ne fera pas tout le chemin. Il y a des jours où je la vois lever la tête quand je l’appelle. Oui, il y a des jours où elle m’entend. Même si je suis conscient qu’elle peut m’entendre autrement qu’avec ses oreilles (rituels, gestuelle, faciès, etc.).

Ne nous arrêtons pas de donner notre attention. C’est ce qu’il y a de plus précieux pour un animal qui s’est rapproché de l’homme depuis 30000 ans. Si notre attention envers eux participe à leur bien-être, c’est le meilleur des accompagnements que nous pouvons offrir aux vieux chiens pour les rendre heureux jusqu’au bout. S’il devait y avoir une seule promesse à faire à notre « senior », ce serait celle de le veiller, rester près de lui jusqu’à ce qu’il ait décidé de partir.

Farwest m’accompagne depuis le début de mon entreprise et bien avant ça. Elle a rencontré des centaines de chiens, avec des comportements et des caractères si différents. Je l’ai souvent certainement mise en situation pas toujours agréable. Elle ne m’a jamais montré de comportement faisant penser à de l’irritabilité ou de la contrariété. Son extraordinaire patience ne se retrouvera jamais. C’est la raison pour laquelle elle restera pour moi à jamais exceptionnelle. J’ose espérer que je l’ai été également un petit peu à ses yeux.

Si ce partage de vie avec elle me fait dire qu’elle a été exceptionnelle, chacun d’entre vous a vécu ses propres histoires avec son animal domestique. Des chiens exceptionnels, il y en a des centaines de milliers. Au moins un dans chaque foyer. Tous méritent l’accompagnement qu’il se doit. Protégez-les du mieux que vous le pouvez. Soyez à votre tour exceptionnel pour eux. Ils sont bien plus précieux que vous ne le pensez, car ils vous manqueront toute votre vie.

Jean-Dominique Brasseur (juin 2023)